L’heure des enfants-chiens débutait. Les dames qui les accompagnaient rivalisaient en couleur de cheveux et rouge à lèvres autant que leur « bébé », « bichette », « fifille »… en noeud bigarré et petite veste molletonnée.
Du haut de mon arbre, je les voyais évoluer dans leur clapier que les humains nommaient parc. Un carré de sable moins bien entretenu que mes deux litières. Ils creusaient là-dedans, remuaient les déjections des autres canidés. Affligeant.
— Eh ! Salut Framboise ! T’as été chez le toiletteur ?
— Bien évidemment, répondit la bichonne frisée, comme chaque vendredi. Cela ne semble point être votre cas, Dionysos.
— On a pas tous renié nos ancêtres ! Dio, t’es le plus beau pékinois !
— Votre croisement abominable aura eu raison de votre intelligence.
— Westie, Jack Russel : j’ai pris le meilleur des deux mondes, ma jolie ! Tu peux pas test Elvis !
Il éclaboussa joyeusement de sable ses deux congénères. Framboise s’ébroua et Dionysos se roula sur le sol. Une dame aux cheveux violets et brushing impeccable – elle aussi sortait du toiletteur sans doute – vint lustrer le pelage de la bichonne. Celle aux poils argentés donna des ordres dans le vent. La dernière, avec un bonnet assorti à la doudoune du Westie/Jack Russel, se contenta de hausser un sourcil. Je m’étirais et bâillais. Des enfants dans une station balnéaire.
Soudain, un Galgo surgit dans le parc. La horde des enfants-chiens s’époumona.
— Bonjour, les copains ! Y a un nouveau chez nous, il arrive, il arrive ! J’ai trop hâte de vous le montrer. Il court pas comme moi, mais il est gentil. Mes mamans l’ont adopté, comme moi. Il vient d’un endroit triste, comme moi. Je vous ai dit qu’il est gentil ?
— Un autre vagabond ! Il ne manquait plus que ça ! soupira Framboise.
— Il faut être gentil avec lui. Il faut pas lui faire peur, promis ?
— Parle pour toi, Samba. Tu nous bouscules toujours avec tes longues pattes…
— Pardon, Dio. Je fais pas exprès ! Je suis juste tellement contente de vous rencontrer, les copains ! J’adore le samedi ! Et j’adore mon nouveau frère ! Vous allez voir, vous allez voir !
Un frisson m’arqua le corps et crispa mes griffes contre le bois. La créature qui trottinait au bout d’une laisse n’avait rien d’un enfant-chien, ni même d’un quelconque canidé.
— Mais qu’est-ce que cette chose ?!
— Ah oué, là… même Dio est plus beau.
— Eh ! Il est passé où « le plus beau pékinois » de tout à l’heure ?
— J’ai pas dit le plus beau des chiens non plus.
— C’est mon frère, c’est Pacco !
— Son museau est vraiment aplati et ses narines… super impressionnantes, nota Elvis.
— Regardez donc son ventre traînant par terre ! C’est purement indécent. Je ne parle même pas de ses poils rêches. Il n’a jamais vu de toiletteur de sa vie !
— Ses tout petits yeux noirs sur sa tête toute ridée… Et il a deux grands doigts griffus au bout de ses pattes !
— T’en fais pas Dio, il est gentil ! En plus, mes mamans lui ont coupé une de ses dents qui remontait. Il ne fait plus mal sans faire exprès.
— Euh… t’as conscience que c’est pas un chien quand même ? s’inquiéta Elvis.
— C’est un cochon vietnamien. C’est mes mamans qui me l’ont dit. Il aime les gratouilles sur le ventre, comme nous !
— Je refuse que… que cette chose s’approche de moi !
— Je te protège, Framboise !
— Vous ? Le pékinois crasseux ?
— Eh ! Vous êtes vraiment tous désagréables aujourd’hui !
— Criez pas, vous allez faire peur à Pacco ! Venez lui dire bonjour ! Venez !
— Vous êtes tout bonnement une maniaque ! Irraisonnable !
La dispute des canidés se répandit chez les humains. Les vieilles dames abritèrent leur progéniture du monstre noir. On commença à parler de police.
Pacco s’était assis. Il observait l’agitation. Samba lui lécha le groin, lui donna des coups de tête sur le torse, la queue vive comme le fouet d’un pâtissier. Il lâcha un petit grognement et colla son museau humide sur le pelage de son amie. Le couple de jeunes femmes qui les accompagnait reprit son chemin. La lévrier s’élança. Le cochon suivit sur ses courtes pattes. Son ventre rebondi tanguait.
De leur côté, les enfants-chiens partirent la truffe haute et je descendis de mon perchoir, échauffant mes cordes vocales pour pousser mes plus longues plaintes devant la porte-fenêtre de ma maison.
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J’adore tout simplement
Merci Laurence 🙂 A bientôt pour d’autres lectures !